Des mauvaises herbes
Vous vous souvenez d'Alma? C'est une jeune femme très érudite. Mais comme toute être humain, elle doit faire face à des situations et des émotions qu'on ne peut apprendre dans des livres ou des autres : il faut les vivre...
«- Je suis consciente que tout le monde connait des déceptions, Hanneke.
- Je ne suis pas certaine que tu en soies conscience. Tu es encore jeune, alors tu ne penses qu’à toi. Tu ne remarques pas les avanies que subissent les gens autour de toi. Ne proteste pas : c’est vrai. Je ne te condamne pas. J’étais aussi égoïste que toi quand j’avais ton âge. C’est la disposition des jeunes d’être égoïste. A présent, je suis plus sage. C’est dommage que l’on ne puisse mettre une vieille tète sur de jeunes épaules, sans quoi tu serais sage aussi. Mais un jour tu comprendras que personne ne traverse la vie en ce monde sans souffrir, quoi que tu imagines de leur vie et du bonheur que tu leur prêtes.
- Que devons-nous faire de notre souffrance, alors? demanda Alma.
Ce n’était pas une question qu’elle aurait jamais posée à un prêtre, un philosophe ou un poète, mais elle était curieuse – désespérée même – d’entendre ce que Hanneke de Groot [sa nourrice hollandaise] avait à répondre.
- Eh bien mon enfant, tu peux faire ce que bon te semble de ta souffrance, dit doucement Hanneke. Elle t’appartient. Mais je dois te dire ce que je fais de la mienne. Je l’empoigne par les cheveux, je la jette à terre et je l’écrase sous mon talon. Je te suggère d’apprendre à en faire autant.»
Extrait de L'empreinte de toute chose, d'Elizabeth Gilbert.
J'aimerai avoir la détermination d'Hanneke pour confronter ce mal. J'aurais tendance à foncer dans le tas, à passer à l'action tout de suite, ou à ne rien dire, alors qu'il faudrait aussi écouter, discerner, délimiter la zone touchée et surtout s'attaquer à la cause, patiemment... Je l'ai dit, je crois que de nos jours, on ne laisse pas assez nos enfants expérimenter et apprivoiser la souffrance quand ils sont petits. Ils tombent? On se précipite. Pire, on les équipe pour leur éviter tout accident. Ils pleurent? On s'empresse de les consoler en leur disant que ce n'est rien.
Mais ce rien prend une place parfois de plus en plus importante dans leur vie. Et ça les met parfois par terre. Ou ça les rend anxieux. Et nous, ça nous laisse désemparés, à chercher des solutions - encore. Ah, l'arracher comme une mauvaise herbe, la déterrer, la jeter loin d'ici et que cette souffrance ne remette plus les pieds chez nous... Ce serait plus facile!